Une équipe de physiciens américano-canadienne, dirigée par Joshua Folk, de l’université de la Colombie-Britannique, à Vancouver, a mis au point une méthode qui a permis, pour la première fois, de mesurer expérimentalement l’entropie d’un système quantique constitué de quelques électrons seulement.
L’entropie d’un système est définie comme son désordre interne. En physique quantique, cette quantité permet de caractériser l’état d'un système et d’en déduire son comportement. En physique classique, l’entropie peut être déduite de la mesure d’une propriété baptisée « capacité thermique ». Toutefois, dans le cas d’un système de petite taille – constitué de quelques particules –, cette mesure échoue. En revanche, il est tout à fait possible d’évaluer sa conductance électrique, c’est-à-dire sa capacité à transporter des charges électriques. Or les auteurs ont trouvé un lien entre la variation de la conductance et l’entropie.
Le dispositif expérimental est constitué d’un gaz composé de quelques électrons dont l’entropie théorique peut être calculée facilement (à l’aide de la théorie quantique). Cette expérience a donc servi à vérifier que le protocole mesure bien l’entropie du système. Quel est son principe ? Le gaz est piégé entre deux semi-conducteurs d’arséniure de gallium empilés l’un sur l’autre. Puis, en imposant au système un courant électrique, l’équipe est parvenue à isoler du gaz trois électrons, qui deviennent alors une boîte quantique d’une centaine de nanomètres de côté. Le reste du gaz sert de réservoir d’électrons. La boîte quantique ainsi créée peut être vue comme une sorte d’« atome artificiel », dont on étudie les propriétés. Les chercheurs appliquent ensuite une tension électrique à l’atome artificiel, ce qui augmente son énergie. « Pour rester dans l’état de plus basse énergie, la boîte transfère des électrons un par un au réservoir, et passe de 3 à 0, explique Gwendal Fève, du laboratoire Pierre-Aigrain, à Paris. Chaque fois qu’un électron sort de la boîte, on observe une variation de la conductance. » En modifiant une équation de thermodynamique (une des trois relations de Maxwell), qui relie la variation des propriétés physico-chimiques d’un système à sa variation d’entropie, l’équipe est parvenue à relier cette variation de conductance à l’entropie de l’atome artificiel.
Les auteurs espèrent que cette méthode sera reprise par d’autres équipes sur des systèmes plus complexes. Elle permettrait alors de caractériser des structures quantiques exotiques dites non-abéliennes. Prédites par la théorie mais encore jamais observées, ces structures, qui bénéficient d’une « protection topologique », pourraient servir de constituants de processeurs quantiques moins sensibles aux perturbations extérieures que les systèmes actuellement à l’étude.
Mathieu Gallais
Photo : Dispositif similaire à celui utilisé dans cette expérience, qui permet de contrôler le passage d’un unique électron © Courtesy D. Rees/RIKEN